Borom Daaraji (RTA)

Crises politiques et rôle des religieux : la constante posture responsable de Serigne Babacar Sy Mansour

Si, pour quelqu'un comme Paul Valery, l'histoire est « le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellect ait créé », il n'en demeure pas moins que seuls ceux qui ne se sont guère glorieusement illustrés ont peur de l'histoire. De nos souvenirs les plus enfouis, elle nous rapporte les actes dépoussiérés de notre existence. Elle résiste à l’usure du temps, car elle est témoins des faits, et les faits demeurent têtus. Ainsi, voudrais-je vous inviter à un petit saut dans l'histoire. Une histoire faite de tensions, mais aussi de responsabilités.
Dakar, septembre 1940 ! Des obus pleuvent sur la presqu'île du cap Vert, une presqu’ile autrefois calme et apaisante. La guerre venait de prendre un autre tournant pour cette colonie ouest africaine. De Gaulle, ragaillardi par son discours de Londres et, soucieux de rallier à sa cause cette partie de la France restée fidèle au Maréchal Pétain, se heurte au refus catégorique de Pierre Boisson, gouverneur de Dakar de l'époque.

Soutenu par ses alliés britanniques, l'homme du 18 juin lança l'opération « menace ». Du 23 au 25 septembre 1940, Dakar connaît des bombardements ahurissants. Entre bombardements de gros calibres et bombardements aériens, Dakar devenait le théâtre d’une guerre qui ne faisait que commencer.
Le gouverneur de Dakar, conscient du danger imminent, enverra une escorte pour le compte de Serigne Babacar Sy (RTA) se trouvant alors à Rufisque. Pour des raisons de sécurité, le gouverneur souhaitait que le saint homme fût transféré à Tivaouane.

Mais, dans ce chaos indescriptible, cette tension vive, cette vulnérabilité sécuritaire, la majestueuse et charismatique sérénité du Khalifa Seydi Aboubacar Sy (RTA) reste encore vivace dans la mémoire de ses contemporains. Trouvé en train de faire ses ablutions, il dira à ses hôtes : « je ne puis guider les personnes dans la voie d’Allah et me permettre de les guider dans la fuite » ! Il est resté dans sa demeure sise à la rue Thiers et recommandera à son frère Elhadji Mansour Sy Balkhawmi (RTA), lui aussi présent à Dakar, de ne point accepter de quitter la ville.

Ils séjourneront aux cotés des populations dans ce Dakar fébrile, rassurant ainsi leur communauté. Alors, Joseph Ndiaye aurait pu dire que l’histoire ne ment pas. Marx aurait pu rajouter que l’histoire bégaie. Mais, nous retiendront qu’elle se répète. L’histoire s’est en effet répétée près d’un siècle après.

83 ans après cet épisode, en juin 2023, au moment où l'heure était à la réclusion chez soi dans un Sénégal violemment secoué, Serigne Babacar Sy Mansour, du haut de ses 93 ans, atterrissait sur le tarmac de l'Aéroport International Blaise Diagne.
83 ans après, l'homonyme du Khalifa Seydi Aboubacar Sy (RTA) et non moins fils de Elhadji Mansour Sy Balkhawmi (RTA), mettra un terme à son séjour pour rejoindre un Sénégal en crise, un Sénégal divisé, quitte à donner son dernier souffle dans l'avion. 83 ans après, Serigne Babacar Sy Mansour posa encore un acte fort qui nous rappelle ses devanciers avec la même détermination, la même énergie et le même sens élevé de la responsabilité.

« Responsabilité » : le terme qui nous interpelle ! Responsabilité face au pays, responsabilité face au peuple, responsabilité face au Seigneur.
Une responsabilité face au pays : S’oublier pour l’intérêt supérieur de la nation…
L’intérêt supérieur de la nation, une vaine expression pour les politiques, un sacerdoce pour les religieux. S’oublier pour l’intérêt général doit être un mode de vie chez toutes les forces vives de la nation. Serigne Babacar Sy Mansour a fait sien ce principe. A chaque prise de parole, l’on sent un homme de Dieu fortement intéressé par la situation du pays.
Homme cultivé, il ne cesse de rappeler aux politiques la nécessité de taire les divergences futiles au profit de la stabilité et du développement du pays. Lors d’un gamou, il rappelait que les acteurs politiques, acteurs de la compétition électorale, peuvent à eux seuls cultiver la paix car étant les seuls à se lancer à la quête du pouvoir. Aux députés, il ne cesse de rappeler l’importance de la courtoisie et du sérieux chez des représentants du peuple.
A bien des égards, le Khalife nous rappelle Elhadji Abdou Aziz Sy Dabakh (RTA). Une modestie sans faille, un regard sincère sur l’état du pays. Jamais il ne revendique des privilèges, jamais il ne contourne les protocoles établis, jamais il ne se prévaut de son titre. A chaque fois qu’il est monté au créneau, c’est pour plaider pour notre religion et nos valeurs. Son attachement à la religion déteint d’ailleurs sur son approche de la gouvernance. Un jour, s’adressant à un ministre de la République, le khalife lui formula la prière suivante : « ce que tu détiens est éphémère et finira un jour. Puisse-t-il, par la grâce de Dieu, finir en beauté ».
Souvent incompris, dés fois attaqué, Serigne Babacar Sy Mansour reste ancré dans sa logique, celle de la vérité impartiale, la seule vérité. Conscient du fait qu’aucun homme de Dieu n’échappe à la critique aisée et infondée, il demeure constant et ferme dans ses positions sans flancher.
S’oublier, afin d’assumer pleinement son rôle de guide éclairé, en acceptant de supporter et d’endurer les critiques. D’ailleurs, lors de son allocution à l’occasion de la célébration du centenaire de la disparition de Seydi Elhadji Malick Sy (RTA), s’adressant au Président de la République, il lui rappelle la nécessité de ne point voler bas et de savoir prendre de la hauteur malgré l’adversité. Voilà l’une des innombrables qualités du saint homme.
Cette qualité n’est présente que chez cette minorité qui a su bannir le « moi » au profit du « nous ». Proche du Sénégal et des sénégalais, le Khalife sait parler et prendre cause pour ces derniers.
Une responsabilité face au peuple : Prohiber le « moi » au profit du « nous » …
Dans la pure tradition soufie malikite, le « moi » est prohibé. Abu Yazid Al-Bastâmi, considéré par Serigne Babacar Sy (RTA), à travers son dernier Khutba, comme un alter ego de Seydi Elhadji Malick Sy (RTA) toute chronologie bafouée, affirme qu’il faut que le « moi » s'efface pour que Dieu soit son propre miroir. Ce reflet divin en soi est aussi une capacité à percevoir en l’autre un reflet de soi. C’est pourquoi l’humilité est au cœur de la pratique soufie malikite. Mame Maodo (RTA) a façonné son école de la sorte.
Dans une de nos tribunes intitulée « Mame Maodo : une si féconde humilité », nous disions ce qui suit : « s’il est vrai que l’humilité constitue le parfum de la vertu, celle de Cheikh Seydi Hadji Malick Sy (rta) aura atteint les limites supérieures du baromètre à l’aune duquel on mesure le caractère exquis d’un principe de vie ».
Cette humilité ne fait pas défaut au Khalif Serigne Babacar Sy Mansour. Capable de rallier le vieux continent pour assister à des célébrations religieuses organisées par la communauté sénégalaise, il n’hésite pas pour autant à traverser le fleuve Sénégal à bord d’une pirogue pour aller présenter ses condoléances suite au décès d’un disciple.
Cet attachement aux liens de parenté mais aussi entre condisciples font de lui une voix salvatrice du peuple. L’histoire récente de la pandémie à covid-19 révèle ce trait de caractère du saint homme. Ayant pris des mesures responsables quant à la gestion de la crise à Tivaouane, il a tenu à mettre à l’aise toutes les couches étant sous sa responsabilité et qui seraient en situation vulnérable avec les restrictions en commençant par les talibés de la ville sainte. Toujours soucieux des conditions de vie des populations, il demandera à l’Etat du Sénégal de dire, en ce concerne la covid, la « vérité aux sénégalais ».
Sa responsabilité face au peuple, Serigne Babacar Sy Mansour l’assume à telle enseigne qu’il ne se passe aucun Gamou sans que son discours ne soit aussi axé sur les questions de société. Entre la banalisation de la vente de l’alcool, la promotion de l’homosexualité, les caricatures du Prophète de l’islam (PSL) etc. Il parle pour tous et dit tout haut ce que beaucoup d'entre nous penseraient tout bas.
Pourtant, son statut pouvait lui permettre de vivre retranché, seul dans son monde dans une quiétude totale. Mais, à l’heure du bilan, que dira-t-il à son Seigneur qui lui avait confié la lourde responsabilité de veiller sur la communauté Tidiane ? Cette responsabilité face au Seigneur incombant à tous ceux dignes d’être les vicaires de Dieu sur terre.
Une responsabilité face au Seigneur : Un jour, nous rendrons tous compte…
« Si un coq meurt dans la ville sainte de Tivaouane, au jour de la reddition des comptes, je serai questionné sur sa mort » ! Ces propos de Mame Abdou rappellent à suffisance toute l’importance que nos autorités religieuses accordent à la notion de responsabilité. Une responsabilité de l’objet de notre garde. A ce titre, Ibn Umar rapporte du Prophète de l’islam (PSL) un hadith assez long mais que l'on pourrait résumer ainsi : un jour, nous rendrons tous compte ! Alors quid de celui dont l’autorité s’étend sur des millions de disciples ? Autant l’objet de la garde est grand, autant la responsabilité l’est aussi.
Serigne Babacar Sy Mansour, conscient de l’immensité de sa garde dont nous sommes l’objet, ne cesse de partager avec nous nos moments d’inquiétudes et de doutes.
Il est un homme d’une si exquise urbanité qu’il reste et restera aux yeux de ses semblables un exemple achevé de la vertu et de la vérité. Il ne saurait, dans sa communication, désigner des coupables, car son rôle, ainsi que l'ensemble de ses frères en la foi, est d'apaiser et non d'envenimer.
Puissent donc, tous les éminents guides religieux du pays, quelle que soit leur religion, être bénis par la bienveillance divine. Que le Tout-puissant leur accorde une longue vie et une santé inébranlable afin qu'ils puissent continuer à être ce qu'ils sont : Les derniers remparts contre la dislocation définitive du lien social et culturel de notre pays.
Baba Diao Mansour, citoyen, disciple et ancien militant.
Membre du comité scientifique de Projet - Plateforme de réflexion et d’orientation des jeunes Tidianes

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